Marla's Movies

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L’ÉTRANGE HORLOGE DE MONSIEUR JACK

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Tim Burton et Henry Selick n'auraient pas renié ce nouvel opus français d'animation, somptueux visuellement, Jack et la mécanique du cœur, en salles le 5 février. On retrouve dans le film de Stéphane Berla et Mathias Malzieu - chanteur du groupe Dionysos - tous les codes de Burton : esthétique gothique, visages pâles et robes rouges, artistes fantasques et clowns effrayants. Le héros, Jack (tiens donc?) a une horloge à la place du cœur.

 

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Le mythe de Pinocchio revient, le cœur de bois se rêve cœur véritable, et l'horloge rappelle celles du vieux Geppetto. Pinocchio encore, lorsque Jack arrive dans une fête foraine inquiétante, celle de l'île des plaisirs après la fête, quand le soir tombe, et que les enfants ayant préféré l'école buissonnière se transforment en ânes.

 

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Plusieurs références cinématographiques indiquent que Stéphane Berla et l'illustratrice Nicoletta Ceccoli ont voulu inscrire Jack dans l'air du temps, sans pour autant oublier leurs classiques. L'omniprésence de la fameuse horloge, et de George Méliès, pionnier du cinéma, rappellent Hugo Cabret (2011) en particulier la clé du cœur, la même que celle du robot mystérieux dans le film de Scorsese, lui-même un clin d'oeil au Métropolis de Fritz Lang.

 

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Clé du coeur de Jack

 

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Affiche d'Hugo Cabret, de Martin Scorsese (2011)

 

Les personnages, mélancoliques et décalés, sont de ceux qu'affectionnent les réalisateurs comme Burton ou Jean-Pierre Jeunet. Jack évoque d'abord Victor dans Les Noces Funèbres : timide, touchant et triste. Quand il devient « l'épouvanteur » du train fantôme, c'est un mélange du Joker de Batman et de l'Homme qui rit, garçon au sourire effrayant et aux yeux pleurants, revenu sur le devant de la scène grâce à Jean-Pierre Améris il y a tout juste un an.

 

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Jack et la mécanique du cœur est un conte sombre. Il ne serait pas à conseiller aux enfants de moins de dix ans. La question se posait déjà pour Coraline, de Henry Selick, complice de Burton pour L'Etrange Noël de Monsieur Jack. Dans Coraline, autre conte sombre et chantant, le cauchemar envahissait le rêve tout en délicatesse, pour faire réfléchir les parents sur les dangers de l'enfant roi. Ici, on retrouve le chat noir de Coraline, les lunettes en plus.

 

Les visages mornes de Nicoletta Ceccoli peuplaient déjà ses livres jeunesse. Ils sont également cousins de ceux de Rébecca Dautremer, qui publiait, en 2004, en collaboration avec l'auteur Philippe Lechermeier, un livre intitulé Princesses oubliées ou inconnues.

 

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C'est à se demander si la tristesse l'emporte dans la littérature et le cinéma jeunesse de nos jours. Car il n'est qu'une chose qui manque au film de Stéphane Berla et Mathias Malzieu : la joie. Or, la musique de Dionysos, si elle est réussie, n'accorde pas un instant de légèreté à cet univers gris, ce que l'on attendrait pourtant d'un film destiné au jeune public. Même dans les contes horrifiques de Burton, on trouve des moments de bonheur, notamment par la musique (« Que vois-je ? » pour Jack dans la ville de Noël, la danse des squelettes dans Les Noces Funèbres.) Le doublage, pourtant, est formidable. C'est un plaisir d'entendre Olivia Ruiz jouer, dit-elle, son propre rôle. Le choix de Grand Corps Malade pour le méchant est une merveilleuse trouvaille. Le méchant, encore un personnage à la Burton, mélange de Johnny Depp, son acteur fétiche, et de Vincent (Price) héros  du court-métrage de jeunesse du réalisateur.

 

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 Les dialogues et paroles de chansons sont fort bien écrits. Hélas, l'ensemble possède une atmosphère pesante.

 

Le drame final est tel que ce film s'adresserait davantage à de jeunes adultes épris de poésie gothique. La question du public se pose donc à nouveau : fait-on encore aujourd'hui des films pour la jeunesse, ou tente-t-on éperdument de séduire ce public dit « adulescent, » trentenaires à l'âme d'enfant ?

 

Evidemment, les contes tragiques existent. Andersen a fait pleurer nombre de lecteurs en faisant mourir de froid la petite fille aux allumettes et d'amour la petite sirène. Néanmoins, Jack et la mécanique du cœur insiste justement sur ce qui effraie les plus jeunes : clowns terrifiants, images de vanités, poupées brisées, mère partie pour ne jamais revenir. Sans parler des personnages monstrueux. Jouer sur l'ambiguïté du monstre n'est pas neuf. Les sœurs siamoises évoquent chez le cinéphile celles de Big Fish ou de Jean-Pierre Jeunet dans La Cité des enfants perdus, autre film qui parle d'enfants sans s'adresser à eux.

 

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Cela ne revient pas à dire qu'il faut se contenter des monstres gentils ou de l'hiver immaculé que Disney propose dans La Reine des neiges, autre conte clair-obscur d'Andersen, cette fois largement transformé au nom du divertissement familial, sans qu'il reste rien, ou presque, du conte original.

 

Un Monstre à Paris avait réussi à allier les thèmes du monstrueux et de la joie, toujours par la musique, sur un scénario neuf, mais qui n'était pas exempt de clichés. On peut accorder à Stéphane Berla une certaine audace : oser la mélancolie et le drame là où d'autres se seraient laissés séduire par la facilité du happy end. Il offre aussi une poésie à la Miyazaki (reprise dans Là-Haut des studios Pixar) dans le personnage de Miss Acacia, qui s'envole dans les airs, rattrapée in extremis par son amoureux.

 

Berla et Malzieu ont créé un film sur les monstres de foire. Traduit par « Freaks » en anglais, le mot désigne souvent les enfants incompris et mis à l'écart, comme Jack au cœur d'horloge ou les héros de Burton, et a aussi donné son titre au chef d'oeuvre de Tod Browning.

 

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En plaçant la majeure partie de son film au milieu des forains, Berla et Malzieu nous rappellent que le cinéma a commencé sur les champs de foire. Les forains ont en effet été les premiers à populariser le cinématographe. Par ailleurs, la lune bleue au visage féminin, présente sur l'affiche, évoque à la fois Méliès et Bunuel.

 

En somme, ce conte sombre est à découvrir par des enfants devenus grands, qui sauront apprécier la poésie gothique de ce festival visuel et musical.



03/02/2014
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